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Dieppe, la cité d'Ango au riche passé
Entre expéditions maritimes et bateaux corsaires
Pratiquant le cabotage le long des côtes, les Dieppois auraient fondé plusieurs comptoirs commerciaux dont un en Guinée (actuel Sénégal) en 1364, avant de s'associer aux marchands rouennais, comme l’atteste un document du XVIIe siècle.
Depuis toujours tournée vers la mer, Dieppe doit cependant au départ et à plusieurs reprises subir l’occupation anglaise. Il faudra attendre 1443 et la victoire du Dauphin, futur Louis XI, pour que ces coups de butoir cessent. Dès lors, les rôles s’inversent. Souhaitant développer les ports de la Manche, Louis XI soutient l’activité corsaire des Dieppois qui s’illustrent déjà par de nombreuses prises aux ennemis. Il encourage également l’organisation de voyages d’exploration et c’est ainsi qu’en 1488, le navigateur Jean Cousin aurait découvert la pointe sud de l’Afrique et pénétré sans doute le premier dans l’Océan Indien. C’est au XVIe siècle que la ville atteint son apogée, portée par son activité portuaire.
Elle devient notamment le siège d’une école de cartographie réputée tandis que de riches armateurs locaux tels que Jehan Ango arment des navires marchands vers Terre Neuve, le Brésil, l’Afrique ou les Antilles. Et si les puissances espagnoles et portugaises n'apprécient guère cette concurrence, Jehan Ango répond en faisant de ses capitaines des corsaires, au nom de la liberté des mers. Le plus redouté d'entre eux, Jean Fleury se rendra célèbre par la prise de nombreux galions espagnols, avant d'être capturé et exécuté en 1527 sur ordre de l'empereur Charles Quint.
Durant cette période, la ville s’enrichit ainsi des produits exotiques qui affluent dans le port. L'ivoire, importé d'Afrique donnera d'ailleurs naissance à un artisanat local de grande qualité, encore vivant aujourd'hui et dont les collections du Château-Musée témoignent de façon exceptionnelle. A cette époque, les marins dieppois prennent également une part non négligeable à la reconnaissance de nouveaux territoires. Ainsi, soutenus par Jehan Ango, les frères Verrazano rentrent à Dieppe en 1524 après avoir découvert la baie de New York et les côtes du Canada qu’ils baptisent Nouvelle France. A leur suite, les frères Parmentier se lancent dans un voyage qui les enverra découvrir Madagascar et Sumatra tandis que Jean Ribault tentera en vain l’installation d’une colonie protestante en Floride.
La période troublée des guerres de religion marquera pour un temps, la fin de ces voyages.
Ce sont ensuite les explorations en Nouvelle France de Samuel de Champlain et du dieppois Pierre Chauvin de la Pierre, au début du XVIIe siècle, qui ouvriront la voie au commerce de la fourrure et à l’installation des premiers colons sur ce nouveau territoire. Dieppe devient alors l’un des premiers ports d’embarquement pour le Canada, mais aussi le point de départ d’expéditions pour la Guyane, la Réunion et les Antilles. Les marins dieppois sont nombreux à conquérir ces îles, à l’instar de Pierre Belain d’Esnambuc ou encore du fameux pirate Pierre Legrand. D’autres s’illustrent en remportant de célèbres victoires navales, tel Abraham Duquesne, à la tête de la flotte royale.
La forte activité et la réputation des corsaires dieppois vaudront cependant à Dieppe d’être bombardée, en représailles, par une flotte anglo-hollandaise en 1694. La ville détruite, sa flotte et son port ruinés, Dieppe mettra près de vingt ans à se relever. Sur ordre de Louis XIV la ville est reconstruite suivant les plans de Vauban par l'architecte De Ventabren, dans un style architectural homogène.
Économiquement, Dieppe s’appuie alors sur le redémarrage de la pêche quand les guerres maritimes, opposant la France et l’Angleterre, ne font pas des ports de la Manche les premières victimes. L’activité corsaire reprend alors de plus bel. Dans le même temps, le jeune dieppois Gabriel de Clieu, officier de la Marine, remplira avec succès la mission d’implanter le caféier aux Antilles, avant de participer largement au développement de la Guadeloupe et de la Martinique dont il sera le gouverneur éclairé.
Dieppe et le Canada
L’histoire de Dieppe et du Canada sont liées depuis bien longtemps. Il y a plus de cinq siècles, en 1508, l’armateur Jehan Ango père envoie Thomas Aubert explorer les rivages de Terre-Neuve ou les dieppois pêchent déjà la morue. Quelques années plus tard, en 1524 Giovanni Verrazano à bord de "La Dauphine", découvre et longe les côtes du Canada, qu'il dénomme Nouvelle France (Nova Francia). Il parvient à même à s’engager dans l’embouchure de l’Hudson (aujourd’hui New-York) Dès lors les expéditions n’arrêteront pas.
En 1604, le "bon Roi" Henri IV nomme Aymar de Chastes, alors gouverneur de Dieppe, premier vice-roi de la Nouvelle France. Mais celui-ci meurt au cours du voyage vers la terre promise en ayant néanmoins confié à Samuel Champlain le soin de conduire une nouvelle expédition. Ce grand voyageur, parvient à remonter le fleuve St Laurent et fonde Québec en 1608. Contre vents et marées, il persuade Henri IV de fonder une colonie au Canada.
En 1617, Louis Hébert embarque à Dieppe avec sa famille pour aller s'installer au Canada, ce qui lui vaudra le titre de "Père du Canada". Finalement, durant tout le XVIIe siècle, des Dieppois souvent des protestants (qu’on appelait alors des huguenots) chassés par la révocation de l’édit de Nantes vont quitter leur ville pour aller s'établir au Québec. Parmi eux figurent Charles Le Moyne et ses enfants. Ce dernier servit d’interprete auprès des indiens Iroquois et fut l’un des premiers chefs militaires de Montréal.
Entre 1759 et 1763, les colons français, outre la rigueur du climat, la disette et les combats avec les indiens, doivent faire face à un nouveau péril : l’Angleterre. Un des plus mémorables combats navals de notre histoire se déroule en rade de Québec et de Louisbourg. Le lieutenant de vaisseau dieppois, Jean Vauquelin, mène le combat à bord de l’Atalante du 16 au 18 mai 1760. Mais son héroïsme reste vain, le Québec capitule. Les “Dieppois“ deviennent britanniques contre leur gré lors du traité du 17 février 1763. Ils instaurent une résistance baptisée “la revanche des berceaux”. Chaque famille met au monde entre quinze et vingt enfants qui “gazouilleront“ en français. C’est à compter de cette période que les relations entre la France et le Canada s’estompent mais l’esprit normand demeure.
19 août 1942 : l'opération Jubilee
L’histoire ne s’arrêtera pas là, elle reprendra brutalement, le 19 août 1942, lorsqu’une une division canadienne débarque sur les plages de la ville. Cinq heures de combat plus tard, 913 soldats canadiens sont tués, 600 blessés et 1 700 faits prisonniers. Le destin de Dieppe et du Canada est une nouvelle fois lié de façon indélébile et sanglante. Ce sera cette même division canadienne qui libèrera Dieppe le 1er septembre 1944.
Les Alliés, pressés par les Soviétiques d'ouvrir un nouveau front à l'Ouest et encouragés dans cette voie par les réussites des raids sur Bruneval et Saint-Nazaire en février et mars 1942, décident une opération de grande envergure destinée à éprouver le système de défense allemand à l'Ouest. Leur choix se porte sur Dieppe, port proche des côtes anglaises, ce qui rend possible une couverture aérienne continue.
Le plan d'action, initialement baptisé "Rutter", devient 'opération "Jubilee" : il prévoit, après plusieurs remaniements, la destruction des défenses côtières et du maximum d'infrastructures stratégiques, sans intervention des parachutistes ni bombardements préliminaires. L'exécution de ce plan est confiée aux Canadiens. L'intervention ne doit pas durer plus d'une dizaine d'heures.
Les forces de débarquement comptent au total plus de 6 000 hommes (quelque 4 965 Canadiens ; 1 100 Britanniques ; environ 50 Rangers américains et quelques hommes de la France combattante répartis au sein des unités canadiennes et britanniques). Les Allemands, dans le secteur de débarquement concerné sont environ 2 000 retranchés derrière les multiples ouvrages défensifs du Mur de l'Atlantique. Le 19 août, vers 3h00, les opérations de débarquement sur Dieppe commencent. L'aile droite du front à Varengeville sera le seul objectif atteint, sous le commandement de Lovat et Mills Roberts.
A 13h30, les Alliés finissent d'évacuer le littoral normand pour rejoindre l'Angleterre, laissant derrière eux quelque 3 000 hommes, tués ou prisonniers. Les matériels sont laissés sur place.
L'opération se solde par 1 197 morts ou disparus, près de 1 500 blessés et quelque 2 000 prisonniers, dont la plus grande partie dans les rangs des Canadiens (plus de 900 morts). 34 bâtiments, dont un destroyer, et 108 avions alliés sont perdus. Du côté allemand, les pertes sont estimées à 350 tués ou disparus, quelques centaines de blessés et 34 prisonniers (source : cheminsdememoire.gouv.fr)
En 1952, une ville nouvelle du Nouveau Brunswick, au Canada, est baptisée Dieppe.
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